Willi Filz
Willi Filz naît en 1962 à Eupen, en communauté germanophone de Belgique. Formé à l’hôtèlerie, il voyage entre la Suisse, l’Angleterre, l’Afrique et l’Amérique pour exercer la restauration. À vingt-sept ans, il prend un tournant décisif et choisit de devenir photographe : il fréquente alors les cours de photo-design à l’Ecole Technique Supérieure de Dortmund, en Allemagne. Filz expose en galerie dès la fin de ses études, en 1992. En 1996, il devient photographe indépendant et réalise pour des magazines suisses et allemands des reportages sur l’architecture ou des séries de portraits.
Dans son travail artistique, témoin de la manière dont nous classifions spontanément et presque inconsciemment chaque individu selon son apparence, Filz s’attèle au défi de libérer d’un tel carcan les hommes et femmes qu’il photographie. L’artiste réalise des séries de portraits de personnes anonymes, dans différentes régions du monde, selon un procédé toujours similaire : après avoir choisi un lieu et une lumière adéquate, il aborde un inconnu qu’il souhaite photographier et, lorsque la confiance mutuelle est établie, en prend un portrait dans le lieu choisi. Il s’agit parfois de l’environnement journalier du modèle, un café, une épicerie, etc ; mais le plus souvent c’est un espace public comme la rue ou un parc, que Filz choisit pour décor. Le photographe propose au sujet d’adopter l’attitude la plus naturelle possible, de ne pas modifier son apparence, de garder les bijoux ou attributs qu’il porte, espérant saisir de lui son image la plus « authentique ».
Tel est le procédé que suit l’artiste pour réaliser cette série réalisée en 2001, en Syrie. En couleurs et imprimées en format moyen (85 x 70 cm), les photographies ont été prises de face, parfois en pied, parfois en buste. La prise de vue est en légère contre-plongée, si bien que le regard du sujet semble glisser naturellement vers l’appareil et, au-delà, vers le spectateur. Le fond est flou, les figures sont nettes ; les spécificités de chacun des individus sont mises en lumière. L’acte photographique est totalement assumé : plutôt qu’une confrontation, Filz propose une rencontre avec le sujet.
Aucun tirage n’est titré, une indication sommaire, entre parenthèses, telle que « Souffi » ou « Jeune femme au pull bleu », sert de repère purement pratique et non d’indication contextuelle. Si les spécificités de chacun sont mises en valeur, la répétition systématique d’un même processus de prise de vue et l’absence de titre personnalisé réunit les sujets sans distinction. La série semble dès lors constituer un portrait global. En accumulant méthodiquement les particularités de la société, Filz parvient à tirer de celle-ci une image relativement stable, continue. Le sentiment identitaire qui se dégage de son œuvre outrepasse les frontières politiques ou culturelles : l’impression d’humanité, seule, demeure, comme un réflexe d’espèce.